Sollicitée au pied-levé, en relisant le dossier de presse, j’ai eu envie de vérifier ça en compagnie de Tristan au piano, rejoint en fin d’interview par Yohan à la batterie, au moment où l’on s’intéressait à son activité artistique. MOPA : un concept authentique. Accrochez-vous !
Carnets de Concerts : Plutôt « Sleepy Hollow » ou « Edward aux mains d’argent » ?
Tristan : Ah, c’est une belle question ! « Edward aux mains d’argent parce que c’est l’un des premiers de Burton et y’a encore toute la fantaisie. Y’a pas de précédent alors y’a une certaine fraîcheur dans laquelle je me retrouve. Et y’a un côté pas prémédité et brut de décoffrage avec les défauts que ça comporte et du coup, c’est intéressant et c’est touchant.
CdC : Donc plus féerique que glauque ?
Tristan : Ouais, carrément.
CdC : La musique classique au sein du groupe permet-elle d’exacerber une certaine sauvagerie ?
Tristan : Je ne sais pas qui est au service de qui entre le punk on va dire, le rock, le métal que les deux autres cons font sur scène ou de moi avec le côté classique. Donc, je ne sais pas qui exacerbe l’un ou l’autre… En tous cas, j’ai l’impression qu’il y a une certaine fusion. Donc, y’en a un qui se met au niveau de l’autre. C’est vrai que moi, je joue des parties plus classiques effectivement, dites romantiques de l’ère Chopin, machin, on s’en fout… Mais c’est quand même joué punk. Enfin, y’aurait n’importe qui du conservatoire qui me verrait jouer, il vomirait partout, je crois, tellement c’est mal joué. Y’a pas le feeling classique. C’est un côté rigide, punk qui avance. Donc, je ne vois pas vraiment les choses comme ça mais c’est intéressant de marier, dans la théorie, ces deux styles-là.
CdC : Et la couleur des cheveux (rouges) y contribue alors ?
Tristan : Ouais voilà, exactement.
CdC : A qui les hurlements qu’on entend appartiennent-ils ? aux victimes de Jack l’Eventreur ou à celles de Frankeinstein ?
Tristan : Ni l’un, ni l’autre. C’est plus les cris du nouveau-né, si tu veux aller par là. C’est juste une manière de s’exprimer et le nouveau-né, c’est à peu près la seule qu’il a et personne s’en étonne, personne va crier au scandale quand y’a un gamin qui crie. Voilà, c’est tout à fait banal. C’est juste parce qu’il est grand comme ça et que c’est mignon. Et pourtant, il crie, quoi ! Donc, moi je ne vois pas le cri comme quelque chose d’horrifiant. Au contraire, il y a une certaine esthétique et puis, c’est cathartique. Je suis pas le seul dans mon couple, quand je m’engueule, je crie. Enfin, tu vois. Bon bah voilà, la musique où il y a un chanteur qui crie, n’a rien d’exceptionnel, rien de terrifiant. Simplement une émotion de plus. C’est vrai que quand on lit les textes, on exprime des choses qui sont, oui certes, douloureuses et pas toujours très gaies mais le principe n’est pas d’emmener les gens aux plus profonds des abymes, au contraire. Il faut avec un grand F qu’il y ait une résolution positive à tout ça. Et d’ailleurs, pour aller dans ce sens-là, pour le prochain album, on va s’affilier à une association anti-suicide pour laquelle on va reverser tous nos royalties des CD vendus en totalité. Parce qu’en fait on s’est aperçus que jouer ce genre de musique, même si c’est noir, c’est sombre, ça crie, tout ce que tu veux, ça fait du bien et pour l’artiste et pour la personne qui écoute. Nous, on a énormément de retours de personnes qui disent « je ne suis pas très bien en ce moment mais votre musique me fait du bien. Avec vous, je vis. ». Parce que finalement, quand tu es au plus mal, quand t’es au plus profond de ton mal-être, quand tu sens vraiment que tu es au bord du gouffre, est-ce que vraiment tu mets de la musique joyeuse pour aller mieux ? Je ne sais pas… Tu as l’impression que c’est une autre réalité. Tu vois ce que je veux dire ? Au contraire, tu as plutôt envie d’écouter un truc down down down qui t’enfonce encore plus mais du coup, ça te parle. Y’a un côté, tu vois, très charnel et tu fais corps avec cette musique. Et du coup, tu te sens vivre. C’est con mais c’est vrai. Tu te sens vivre parce que ça te parle cette musique-là. C’est raccord avec ce que tu sens et donc, je pense que ça fait du bien, voilà. Le sombre n’emmène pas vers la mort quoi, bien au contraire ! Ca emmène vers un renouveau pour les gens qui se sentent pas très très bien. Voilà ! De notre affiliation avec cette association.
CdC : Tu peux nous en dire un peu plus sur cette association ?
Tristan : En fait, y’a deux associations. Une association américaine : To Write Love On Her Arms, donc « écrire l’amour sur ses bras ». C’est une association en plus qui est versée dans la musique et y’a déjà plein de groupes musicaux qui y adhèrent. Ils sont présents sur des festivals, ils tiennent des stands. Donc, en fait, l’histoire c’est qu’ils font passer des messages sur des t-shirts. Donc, le principe c’est de porter les t-shirts sur scène avec des trucs un peu positifs, tu vois.
[Je baisse les yeux sur le t-shirt que porte Tristan : The Doors.]
Tristan : Non là, je l’ai pas. On les a pas encore reçus les t-shirts. C’est assez récent l’histoire. La branche française de ça s’appelle… Ah, je sais plus… CdC : Les films sont-ils pour vous une source d’inspiration, notamment pour le choix du nom du groupe ?
Tristan : Alors, en fait, ouais, c’est un clin d’œil, c’est vrai, à « My Own Private Idaho » avec Keanu Reeves, River Phoenix. Avec le piano, y’a un côté visuel, un peu paysager. Tu vois ce que je veux dire ? C’est pas non plus « musique de films », faut pas exagérer mais y’a moyen de mettre des images sur ce genre de musique. On peut s’imaginer des choses et de se faire transporter, on va dire ça comme ça. En tout cas, moi, c’est ce que je ressens quand je joue. Donc, on peut trouver ça bien de faire le lien entre notre musique et le cinéma. C’est un film qu’on aime beaucoup, donc voilà. Gus van Sant fait des choses qui nous parlent, on va dire. Sinon, un autre film qui là est vraiment dans le concept (c’est marrant parce qu’on l’a eu avant lui), c’est « Into The Wild », en fait. Carrément, le mec se barre en Alaska, ça tombe bien, pour quitter tous référents culturel, social, tout ce que tu veux… Si vous avez vu le film, vous voyer ce que c’est. Et le principe de la musique de My Own Private Alaska, c’est un peu ça. C’est un peu effacer tous les référents musicaux, pour le coup, qu’on avait. C’est très compliqué parce qu’on est bercé dans des cultures. On joue de la batterie avec nos bras et pas nos oreilles. Tu vois ce que je veux dire. C’est très compliqué de tendre vers ce genre de choses et finalement, on s’est aperçu que le meilleur moyen de jouer de la musique « différente », c’était d’être soi-même. C’est con hein mais c’est parce qu’on est tous différents. On a tous un ADN différent. Donc, être soi-même et ça va un peu à contre-courant de tout ce qui se fait parce que c’est pas à la mode d’être différent.
CdC : Tu penses que les autres groupes jouent un rôle sur scène ?
Tristan : C’est évident ! C’est répété dans tous les sens.
CdC : Quelle est la part d’impro en ce qui vous concerne ?
Tristan : Y’a pas d’impro mais on joue les choses telles qu’on les sent. Ca veut dire qu’on sait jamais ce qui va se passer, c’est clair. En tout cas, on s’interdit de dire là à tel moment, je vais faire ça. Evidemment, y’a des fois des habitudes qui reviennent, forcément. Tu sais très bien qu’à tel passage, tu vas jouer comme ça. C’est normal sinon tu te trompes de plan. Mais ça tuerait l’authenticité qui fait que ça touche les gens. Et parce que le partage, il est essentiel dans notre musique. On joue quelque chose de tellement cru, sans artifices. Si c’est joué, ça perd de son sens. De toute façon, on arriverait pas à le jouer.
Cdc : Toujours question scène, la différence de configuration saute aux yeux. Un chanteur assis et de profil. Effet particulier sur la voix ou simple commodité ?
Tristan : Un peu les deux. En fait, on voulait pas vraiment qu’il y ait de frontman : le mec qui est au milieu, tu vois, qui occupe toute la scène, qui vole le charisme. C’est le triangle équilatéral comme un siège où y’aurait trois pieds. Si tu en enlèves un, ça s’écroule. C’est le côté synergique qui ressort. Chacun porte l’autre et y’en a pas un qui se met devant particulièrement. Puis bon, quand t’es un trio, on fait quoi ? Tu mets le chanteur devant ? Ca participait aussi au principe « c’est différent ».
CdC : Autre particularité, les tableaux sur scène ?
Tristan : C’est le batteur [Yohan] qui les fait.
Yohan : En fait, j’ai fait la pochette du dernier album « Red Sessions ». Et ouais, du coup, on a choisi ça, plutôt que d’avoir un backdrop statique ou de la vidéo-projection qui parle pas vraiment aux gens, qui n’est pas dans le concept de « donner ». Nous, on est touché par les artistes sincères, par les démarches sincères dans tous les arts que ce soit en cinéma, en peinture ou en musique. Du coup, on avait vraiment envie de faire ce lien-là et de pousser encore plus le truc. On joue ce qu’on est, on fait ce qu’on est, on donne qui on est. Et dans ma peinture, j’ai un peu la même démarche donc tout se rejoint. Et du coup, c’est vrai qu’on trimballe les toiles sur scène plutôt qu’un autre décor. Et c’est marrant parce que ça parle aux gens ; ça donne du sens à la musique, ça donne du sens à la démarche et du coup, c’est chouette, quoi.
CdC : Les toiles faites de portraits, entre autres, sont comme des membres à part entière…
Tristan : Tout à fait. C’est comme s’il y avait des gens… Et puis, c’est très organique, une peinture. Tu vois, c’est en relief. Ca n’a pas la perfection d’une vidéo-projection par ordinateur avec ses pixels.
CdC : Quelle technique utilises-tu ?
Yohan : Moi, je fais de la peinture à l’huile sur bois. Je fais de la peinture expressionniste. Du coup, je me rapproche plus d’un Schiele, d’un Munch ou d’un Soutine. Munch laissait ses toiles moisir et pourrir dehors, sous la pluie, justement pour donner un côté organique à ce qu’il faisait. J’aime pas trop les images parfaites, complètement lisses qui se rapprochent de la photo. Moi, en fait, je peins plein de portraits. Donc, des fois, tu peux y voir des personnes que je connais ou qui m’ont touché mais toujours avec une expression pas conscientisée, tu vois. Ouais, ça me dépasse un peu et ça rejoint un peu la musique dans le sens où tu te transformes en portail de quelque chose que tu ne maîtrises pas forcément et c’est vraiment dans le concept de « parler aux gens sincèrement ».
CdC : Et le tout ne s’expose pas dans une galerie mais sous un hangar, pendant un festival !
Yohan : Ouais, voilà. On trimballe les toiles partout en tournée, partout dans le monde. Ouais, c’est chouette, tu vois, ça me fait une expo itinérante en permanence. Je fais même des expos-concerts : j’en fais une le 12 mai à Toulouse. Je le fais, entrecoupé de jeu avec mes groupes et du coup, ça créé une interaction. J’aime pas trop le concept de toiles, dans une galerie, qui bougent pas, pas de vie. Tu vois, ça reste des mois. Tu lues les murs, tout le monde s’en fout. Parce que les gens viennent qu’au vernissage, finalement : boire gratuit, manger les petits fours.
Tristan : En fait, c’est à l’opposé de tout ce côté classique, ce qu’on disait, tu vois : les gens s’assoient, guidés, machin…
Yohan : Et puis, on en prend pas soi, tu vois, les toiles, on les suspend à des crochets. Ouais, tu vois, y’a une interaction, y’a une vie même si ça fait des chtars, s’il manque un peu de peinture à force de les trimballer. Du coup, ça touche les gens. Ils ont encore plus un objet unique. Avec les « Red sessions », on a fait des arty packs où je donne des croquis avec l’album, des croquis uniques. Du coup, ça fait quelque chose de plus sincère. Et pis voilà, ça parle à plein de gens. On en a envoyé un Japon. Là, cette semaine, y’a un Russe qui en a acheté. C’est chouette, quoi ! Ca fait une bonne synergie. On s’y retrouve vraiment et puis ça souligne le côté organique, sincère de ce qu’on fait.
CdC : Un beau mélange des arts…
Tristan : Oui. Au final, tout se rapproche. Si on reprend ce que je disais tout à l’heure, exprimer ce qu’on est : ben, on est aussi multiple. On est tous différents mais aussi multiple. Alors voilà, finalement, ça se rejoint. On fait de la musique mais ça reste dans un carcan bien particulier. Tu fais de la peinture, de la musique. Bon ben, si tu mélanges les deux, c’est encore plus toi-même.
Yohan : C’est plus riche.
CdC : Si vous le voulez bien, le mot de la fin… Votre engin de torture préféré, au sens large ?
Yohan : Nous, on pense vraiment que tout ce qu’on en retire de tout ce qu’on fait, c’est que l’ennemi, c’est ta pensée, le cerveau, tout le côté conscient, en fait. Ouais, c’est ce qui te torture, c’est ce qui transforme des expériences de vie quelquefois en expériences négatives. Nous, on essaie de se défaire de tout ça en se rapprochant de l’inconscient pour justement donner un truc sincère qui nous porte et qui nous aide. Tu vois, pas tout le temps ressasser le mal avec le mal et du coup, entraîner encore plus de merdes. Ce que je fais, c’est la démarche inverse où quand t’éteins le cerveau, quelque chose se passe et tu te soignes, quoi.
Tristan : Oui, merci. Non, je ne sais pas si on reste sur cette note-là ou si j’en rajoute une couche sur le côté qu’on sort notre album acoustique qui n’a rien à voir avec ce que vous avez vu tout à l’heure. C’est plus unplugged en fait. Vous avez vu un unplugged de Nirvana ? Voilà, on sort un album où on réinterprète les morceaux de l’album d’avant qu’on avait enregistré à Los Angeles. Donc là, on a fait un petit peu ça chez nous, avec moins de moyens mais c’est d’autant plus sincère, authentique, c’est cru, c’est brut de décoffrage. Juste une prise, un micro et c’est tout. Et on sort cet album de deux manières : soit via un CD où la pochette, c’est lui [Yohan] qui l’a peinte, soit en téléchargement sur BandCamp où les gens peuvent mettre le prix qu’ils veulent pour l’acheter. C’est intéressant, ce concept-là. Voilà, ça méritait d’être dit.
CdC : Très bien ! A bon entendeur… Merci à vous !
Tristan : Merci.
Yohan : Merci beaucoup.